Niger

Note produite par le Réseau Nigérien de Suivi Evaluation - ReNSE (2017)


Introduction

Les nouvelles exigences du développement ont placé les démarches d’évaluation au cœur des politiques publiques et de leur pilotage stratégique. Elles en ont fait un facteur de transparence et de bonne gouvernance.

Nous assistons, au Niger, à une prise de conscience de la nécessité d’introduire la fonction suivi-évaluation du fait des changements dans la gestion publique où des forces internes et externes (OSC, PTF) deviennent de plus en plus exigeantes en matière de redevabilité (OMD, ODD, Déclaration de Paris).

L’institutionnalisation de l'évaluation au Niger s’effectue dans un souci d’articulation entre les actes de la société civile et les prérogatives étatiques Le souci majeur semble donc être le développement progressif de la pratique de l’évaluation en vue de la rendre systématique.


Quelle pratique évaluative au sein des institutions du pays ?

L’état des lieux de l’échantillon enquêté dans le cadre de l’étude diagnostique des capacités nationales en évaluation réalisée en 2006 donne les résultats suivants :

  • 66,7% des structures échantillonnées dans le cadre de cette étude pratiquent l’évaluation souvent ou toujours ;
  • 14% la pratiquent rarement ;
  • 19,3% n’ont jamais pratiquée l’évaluation (dont 10,5% sont des Ministères) ;
  • Les Ministères pratiquent l’évaluation moins que les autres structures. En effet, 7% seulement des Ministères pratiquent souvent l’évaluation ;
  • Les interventions publiques qui intègrent le plus la pratique évaluative au Niger sont : les projets (47,8%), les programmes de développement (39,1%), les politiques publiques (13%).

L’évaluation systématique des capacités en gestion axée sur les résultats (GRD/CAP-SCAN) menée en 2009 sur l’administration centrale, corrobore, sans avoir adopté le même type d’investigation et avec un échantillon plus réduit, la situation décrite dans l’étude de 2006. Ainsi on peut relever que :

  • Le suivi et évaluation n’est pas intégré dans les pratiques de l’administration;
  • La formulation des stratégies nationales et l’élaboration du budget ne tiennent pas compte des résultats des évaluations;
  • Le suivi de l’action gouvernementale n’est pas appuyé par des indicateurs de performance;
  • Les agents de l’administration ne s’approprient pas des outils de suivi et évaluation;
  • Le niveau des ressources allouées au suivi et évaluation n’assure pas la pérennité des méthodes d’évaluation.


Une institutionnalisation de fait au sein de l’administration centrale

Au Niger, durant la période 2005-2010, l’évaluation a été souvent incluse dans les attributions de plusieurs structures de l’administration, sans clauses explicites dans la législation et/ou les réglementations. A titre illustratif on peut citer :

  • La création d’un Ministère chargé de l’Evaluation des politiques de Développement;
  • La Direction Générale de l'Évaluation des Programmes de Développement (DGEPD) au Ministère de l’Economie et des Finances (ME/F);
  • L’Unité de Suivi Evaluation de la SRP (Stratégie de Réduction de la Pauvreté), faisant partie d’un dispositif de suivi évaluation du Secrétariat Permanent de la SRP;
  • La Direction du Suivi et de l'Évaluation des actions de Développement (DSEAD) du Ministère de l’Aménagement du Territoire et du Développement Communautaire (MAT/DC ;
  • Les Directions des Etudes et de la Programmation (DEP) des ministères sectoriels chargées des attributions en matière de suivi évaluation.

Mais force est constater qu’avec les nombreux changements institutionnels et la mobilité des agents, seules les Directions des Etudes et de la Programmation (DEP) des ministères sectoriels existent encore.

En outre, le Niger a élaboré une Politique Nationale d’Evaluation (PNE) qui a fait l’objet d’une validation technique en décembre 2010. Deux recommandations fortes ont été formulées :

  • A l’endroit du Gouvernement : « D’accélérer le processus d’adoption de la PNE (Politique Nationale d’Evaluation) »;
  • A l’endroit des Partenaires Techniques et Financiers : « D’accompagner l’Etat dans la mise en œuvre de la PNE ».

L’avancée de l’institutionnalisation de l’évaluation au Niger s’est faite à travers le développement de la GAR dans l’administration publique. Ce progrès se traduit par l’adoption par le gouvernement en 2011, de la loi N° 2011-20 du 8 août 2011, déterminant l’organisation générale de l’administration de l’Etat et fixant ses missions.

Cette loi, en ses articles 9 et 34, précise que désormais la GAR est la méthode de gestion des projets et programmes de développement :

  • Article 9 : l’administration civile de l’Etat fonctionne selon les règles de la bonne gouvernance et de la gestion axée sur les résultats;

Elle indique également dans son article 15 :

  • Article 15 : l’administration centrale d’un ministère comprend le cabinet du Ministre, le secrétariat général, les organes d’inspection, de contrôle et d’évaluation, les directions centrales, les organes consultatifs et les administrations de mission.

Il faut noter que cette Politique Nationale d’Evaluation n’a pas été adoptée et les textes réglementaires relatifs à cette loi N° 2011-20 du 8 août 2011 n’ont pas été adoptés en vue d’opérationnaliser la loi. Cependant aujourd’hui, la plupart des ministères et autres institutions étatiques sont dotés de services en bonne et due forme en charge de l’évaluation, confirmant ainsi une institutionnalisation de fait de l’évaluation.


Un Parlement qui s’inscrit dans une logique de contrôle

Le rôle du Parlement s’inscrit davantage dans une logique de contrôle de l’action du Gouvernement que dans un processus d’évaluation des politiques publiques. Ainsi :

  • Les dispositions de la constitution du 25 novembre 2010 précisent les modalités relatives au contrôle de l’action du gouvernement par le parlement. Celles-ci sont énoncées au titre V, qui traite des rapports de l’Assemblée National avec le pouvoir exécutif.

En effet, les articles 97, 98, 101, 107 et 108 dudit titre, précisent que les membres de l’AN peuvent, soit individuellement, soit collectivement interpeller le Premier Ministre ou tout autre membre du Gouvernement.

  • Le règlement intérieur de l’AN du Niger a repris également les dispositions constitutionnelles permettant au parlement d’exercer un contrôle sur l’action gouvernementale au moyen notamment :
    • des questions écrites et orales (articles 109, 110 et 111) ;
    • des interpellations (articles 112 et 113)
    • des questions d’actualité (article 114)
    • des enquêtes parlementaires (articles 117 à 124).

Aussi la responsabilité du gouvernement peut être mise en jeu dans les cas du vote par le parlement du programme du gouvernement, de sa déclaration de politique générale ou de tout texte.

On peut établir les corrélations qui existent entre les piliers de la Gestion Axée sur les Résultats de Développement (GRD) et le contrôle parlementaire de l’action du gouvernement. Ces corrélations se retrouvent au niveau des 5 piliers sur les 6, notamment :

  • le leadership pour les résultats,
  • la planification axée sur les résultats,
  • la budgétisation axée sur les résultats,
  • les systèmes d’information et suivi évaluation,
  • la redevabilité et le partenariat.

Cela est confirmé par le fait que le parlement initie des lois (leadership), examine et vote les lois des finances (planification et budgétisation) et soumet le gouvernement aux questions-réponses (suivi et redevabilité).


Au niveau des professionnels de l’évaluation (Praticiens)

En se référant à la conférence organisée par le ReNSE sur le thème : « Pratiques de Suivi-Evaluation au Niger. Acquis, limites et perspectives méthodologiques », on note des acquis et des limites dans la pratique du suivi-évaluation au niveau des professionnels.


L’exigence de structuration de la pratique évaluative

Ainsi, depuis 1995, le Niger a réalisé des efforts notamment en matière de suivi-évaluation. La primature d’alors a indiqué qu’il n’est plus accepté qu’au Niger des programmes et projets soient initiés sans unités de suivi-évaluation.

Depuis lors, l’institution des cellules de suivi-évaluation a commencé d’être une réalité. Aujourd’hui, c’est un acquis important qui constitue une réalité systématique. Que ce soit pour les projets et programme de l’état ou des tiers.

Si l’évaluation des politiques de développement et des stratégies est très peu appliquée, il convient de mettre en avant certaines avancées techniques en matière d’évaluation :

  • La base des besoins en information semble de mieux en mieux comprise par les acteurs;
  • Les indicateurs sont relativement bien formulés (pour la plupart), bien orientés vers l’objet apprécié et répondent à de vrais besoins;
  • On remarque une systématisation des études de référence;
  • Lors des conceptions des dispositifs de suivi-évaluation, l’aspect participatif est privilégié et la plupart des acteurs est approché pour connaître ses besoins;
  • Quant au nombre d’indicateurs, au niveau des projets et programmes, on remarque une certaine prudence à se limiter à l’essentiel;
  • Une autre évolution constatée est le fait que les acteurs de suivi-évaluation ne sont plus considérés comme étant seulement les membres de l’unité mise en place pour assurer la gestion de la fonction.

Dans la plupart des projets et programmes, la fonction est pilotée par la direction ou l’unité de SE, mais chaque membre thématique assure certaines productions et gestion de l’information relevant de ses compétences. Cette évolution est récente et a été constatée au cours des cinq dernières années.

Toutefois, on remarque que cette logique de faire du suivi-évaluation une activité transversale est moins présente dans les institutions de l’Etat que dans le cadre des programmes et projets de l’Etat ou des tiers.


Le développement d’outils

En matière d’outils, des grandes évolutions sont aussi été enregistrées notamment en matière de précision. Cette évolution est liée aussi au développement technologique. Les entités de gestion de projets disposent généralement de bases de données (simples voir complexes) qui permettent l’imputation, l’emmagasinage et l’adressage pour besoin de données.

Les fiches de collecte et les canevas divers ont évolué de manière significative. En plus avec l’avènement de la GAR, de nouveaux outils de suivi – évaluation ont été développés. Il s’agit :

  • De la situation de référence;
  • De la chaîne de résultats;
  • Des listes d’indicateurs;
  • De la fiche descriptive des indicateurs;
  • Du cadre logique axé sur les résultats;
  • Du cadre de mesure de résultats;
  • Du tableau de bord de pilotage;
  • Du rapport axé sur les résultats.


Des moyens humains et financiers encore trop restreints

Les principaux problèmes auxquels sont confrontés le développement de la pratique évaluative et son institutionnalisation au Niger résident dans :

  • La faiblesse de la promotion d’une culture de l’évaluation au sein de l’Administration nigérienne;
  • La faiblesse des compétences techniques et professionnelles en particulier sur le plan des ressources humaines notamment au niveau infranational ainsi qu'au niveau de la société civile;
  • La faiblesse d’allocation des ressources aux dispositifs existant en matière de renforcement des capacités;
  • L’absence presque totale de soutien de l’Etat au plan financier aux structures œuvrant dans le domaine du renforcement des capacités évaluatives.


Ceux-ci ne trouveront de réponses qu’en travaillant au renforcement de :

  • L’institutionnalisation et le développement de la fonction du suivi et de l’évaluation, dans l’ensemble des ministères et autres institutions de l’État en charge de la gestion du développement;
  • Le développement des méthodes et outils de suivi et de l’évaluation dont certains sont dépassés.


Au niveau du Réseau Nigérien de Suivi-Evaluation

Le Réseau Nigérien de Suivi Evaluation (ReNSE) est une organisation des professionnels de l’évaluation crée depuis 1999 dans le cadre du processus mondial de mise en place des réseaux nationaux actif en évaluation.

Cette structure a fonctionné pendant une dizaine d’années à budget zéro. Les frais liées à ses activités furent totalement pris en charge par ses membres fondateurs notamment les agences du système des nations unies, le gouvernement du Niger, les agences de coopération bi et multilatérales, les ONG Internationales et autres institutions nationales.

En 2010, le ReNSE s’est formalisé et est devenu une association de droit nigérien reconnue par le gouvernement du Niger, par arrêté 0566/MISD/AR/DGAPJ/DLP du 30 août 2010.

Il a regroupé jusqu’à 300 membres dans sa phase informelle. Il compte actuellement quelques 100 membres.

La principale force du réseau réside dans la diversité de ses membres ayant confirmé leur expérience dans des organisations régionales et internationales (ONU), des institutions publiques, des organisations de la société civile et du secteur privé. Le label, la crédibilité et le leadership du ReNSE ainsi que sa notoriété nationale et internationale lui ont permis de nouer des partenariats avec des institutions nationales et internationales (Haut Commissariat à la Modernisation de l’Etat, UNICEF, PNUD, etc.).

Le ReNSE fonde son action sur le bénévolat et la mobilisation de ses membres. Cette approche, commandée par des ressources financières limitées, n’est pas sans conséquence quant au développement du réseau : inexistence de certains outils de gestion stratégiques (Plan stratégique, plan de communication et de formation, manuel de procédure etc.), communication et diffusion de l’information réduite (ex.: non opérationnalisation du site web), insuffisance de mentorat/tutorat et la timide relance des activités des évaluateurs émergents, faible partenariat stratégique avec les potentiels bailleurs…

Les synergies existantes avec les organisations d’évaluateurs au niveaux international et régional comme EvalPartners, AfrEA, RFE, RF-Ee, les autres VOPEs constituent une opportunité pour le ReNSE de renforcer sa visibilité et consolider son plaidoyer en faveur de la promotion de la culture et la pratique de l’évaluation.

Sur le plan national, l’engagement citoyen dont fait preuve la société civile et qui ne cesse de se consolider grâce aux libertés acquises depuis l’avènement de la démocratie est porteur d’espoirs au regard de la vigilance et de la pression qu’exercent progressivement les organisations de la société civile sur les responsables politiques et les gestionnaires des programmes de développement. En revendiquant davantage de redevabilité et de transparence, la société civile est en mesure d’imposer de nouveaux modes de gouvernance et d’aider en cela le ReNSE au renforcement d’un environnement favorable à l’évaluation tant au niveau central que local.

En exigeant des institutions publiques davantage de rigueur et de transparence, les partenaires techniques et financiers offrent au ReNSE l’opportunité de nouer des partenariats stratégiques avec ces derniers et de bénéficier de ressources de financement mobilisées pour accompagner les institutions publiques dans le développement de système de suivi et d’évaluation.

Depuis l’avènement de la 7ème République, on note une volonté politique manifeste en faveur de l’évaluation. Cela s’est traduit par la création de services de suivi et évaluation dans les ministères sectoriels et des institutions publiques comme la HCME et la CAPED qui intègrent l’évaluation dans leur pratique en tant qu’étape incontournable dans les processus de gestion et de mise en œuvre des politiques et des programmes. Cet engagement politique en faveur de l’évaluation est une opportunité offerte au ReNSE afin d’atteindre son objectif de développement des capacités institutionnelles en matière d’évaluation au Niger.

La collaboration existante avec des bureaux d’études et des institutions nationales de formation en évaluation (ISEP, ENAM, Universités du Niger etc.) offrent au ReNSE l’opportunité d’atteindre son objectif de renforcement des capacités individuelles en matière d’évaluation par l’organisation des séminaires de formations et de diffusion des bonnes pratiques et des normes en matière de suivi et évaluation.

Le ReNSE doit porter une attention particulière aux menaces inhérentes à l’instabilité politique et à la détérioration de la situation sécuritaire liées au contexte qui prévaut dans le Sahel (terrorisme, trafic de drogues, banditismes, etc.). Aussi minimes soient elles, ces menaces pourraient affecter l’ordre des priorités nationales et faire en sorte que l’évaluation ne soit pas intégrée dans les traditions et pratiques institutionnelles publiques, associatives et privées en tant qu’étape incontournable dans les processus de gestion et de mise en œuvre des politiques et des programme.